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« Il n’y a pas de fin. Il n’y a pas de début. Il n’y a que la passion infinie de la vie. »
Federico Fellini

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    Notre dernière newsletter

    – Edito –

    DE L’OSTRACISME

    L’actualité nous fournit, comme souvent, matière à nous replonger dans nos racines.
    La colère de la rue qui s’exprimerait dans le Pays – en tous cas, celle que nous renvoient les médias – prend clairement pour cible le chef de nos institutions, au nom d’une atteinte à la démocratie. Ce qui m’évoque une loi des plus importantes, établie dans les premiers temps de la démocratie athénienne:  celle instituant l’ostracisme.
    Aristote l’attribue à Clisthène, même si sa première application se trouvera en 488/7 avant J.-C.. Cette loi prévoyait qu’une peine d’exil temporaire fixée à dix ans frapperait quiconque apparaitrait susceptible d’établir la tyrannie à son profit. Un vote populaire à main levée déciderait de l’opportunité d’une ostrakophoria. Un second vote, secret celui-là, désignerait celui que l’opinion populaire tenait pour dangereux.
    Les nombreux ostraka qui sont parvenus jusqu’à nous montrent qu’aucun homme politique athénien n’échappa à la méfiance populaire par la suite. À l’origine, ces tessons étaient des coquilles d’huître, d’où le nom d’ostrakon, puis des tessons de poterie, pratiques pour une inscription éphémère à l’encre servant juste pour l’usage du vote au cours duquel on les décomptait ensuite. Chez les dieux grecs, pareille procédure était l’œuvre d’Iris, qui pouvait bannir de l’Olympe pendant 9 années (années divines) celui qui était coupable de parjure ; mais on était là dans un procès dont le jugement était sans appel, puisque réglé par des puissances divines. Dans le monde humain, il en va bien autrement ; et l’avènement de l’ostrakophoria a occasionné bien des dérives et des excès, permettant de se débarrasser opportunément de nombre de gêneurs dans la prise de pouvoir par un rival, grâce à une savante manipulation de l’opinion.
    Édifice si fragile que celui de cette démocratie qui fait ses premiers pas. Il paraît que la fragilité est une force, et cette force, c’est pour la première fois celle d’un discours et d’une pensée radicalement nouvelle sur les institutions, et sur la place des hommes face à la loi avec la mise en place de l’isonomia. Celle-ci reposera sur une révolution-clé, celle de la substitution de l’ancienne loi du sang, avec ses unions et ses conflits, ses vengeances et ses fureurs, par la loi des citoyens, désignés à présent par le nom de leur dème et non plus par celui de leur père. En moins de deux siècles, une première expérience de démocratie, une promesse, a vu ainsi le jour. Le texte de Camille Laura Villet publié ci-dessous soulève un voile de cette histoire qui se rappelle à nous en ces moments renouvelés de crise, crise dont il faut rappeler qu’elle a été l’origine de ce bouleversement des VIème et Vème siècles. S’il fallait – comme certains nous y invitent – procéder à une nouvelle ostrakophoria, il serait sans doute bon de se rappeler ce commentaire d’Anacharsis – rapporté par Plutarque dans sa Vie de Solon – qui venait d’assister à une de ces premières assemblées publiques, prémices de la future démocratie athénienne: « Je m’étonne que chez les Grecs, ce soient les sages qui conseillent, et les fous qui décident. »

    Hubert JOSEPH-ANTOINE

    – Autres pensées et participations –

    La main de Dalí retirant un Toison d’Or en forme de nuage pour montrer à Gala l’aurore nue très, très loin derrière le soleil. Hommage à Claude Lorrain, Œuvre stéréoscopique, huile sur toile, 1977

    © Salvador Dalí, Fundació Gala-Salvador Dalí, Figueres, 2017

    ET L’AURORE AUX DOIGTS DE ROSE…

    Réflexions sur la démocratie ainsi que sur la folie et sa raison dans l’histoire

    « Bientôt ma folie paraîtra aux yeux de tous les citoyens ; elle paraîtra quand la vérité se fera jour. »

    Solon, Poésies, trad. M. Humbert

    « … la folie dit quelque chose de la créativité à son origine. »

    Raphael Gaillard, Un coup de hache dans la tête, Paris, Grasset, 2022, p. 209

    Nous sommes à l’aube d’un nouveau commencement lequel implique, pour que nous puissions en accompagner le déploiement, de mieux nous connaître.

    Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que l’homme ? Quel est le sens (le but) de notre incarnation ?

    Et encore : Qu’est-ce que l’histoire humaine ? Que représentent ses crises, ses dénouements ? Et comment, en définitive, parvient-elle à s’écrire ? Est-ce par la raison ou bien serait-ce davantage par la folie ?

    Je réinterrogeais, ces derniers jours, la figure mythique d’Athéna ainsi que quelques mythes qui lui sont associés, ce coup de hache notamment que son père dut recevoir sur la tête pour lui donner naissance. Et nous ? À quelle brèche, quelle faille, quelle fêlure devons-nous d’exister ? Est-ce seulement au sexe fendu de nos mères ou bien une autre faille nous livre-t-elle passage ? La déesse aux yeux pers, comme l’appelait Homère, pouvait, en avais-je l’intuition, nous aider à y voir plus clair. Athéna apparaît en effet au point d’intersection où hommes et dieux, quoique résolument distincts, sans s’atteindre tout à fait, se rejoignent pourtant. Elle éclaire ainsi notre double nature humaine, tout à la fois charnelle et spirituelle. L’homme, s’il est effectivement dans ce monde, n’est pas de ce monde.

    La naissance, au Ve siècle avant J.-C., de la démocratie, à laquelle la déesse préside, ne représente donc pas seulement un événement politique. Il s’agit, plus fondamentalement, d’une révolution anthropologique à l’occasion de laquelle cette double nature se fait jour. Ce fut, sur le plan politique, un moment bref, davantage une promesse faite à l’humanité qu’un réel accomplissement. Sur le plan anthropologique, en revanche, fut amorcé, en silence, à l’insu du commun des mortels, un épisode au long cours. Cet épisode n’est pas achevé. Il a toujours lieu. La crise que traverse actuellement l’Occident en témoigne. Rien de l’homme n’est encore acquis. Et c’est pourquoi une prise de conscience à présent s’impose.

    Les Grecs inventèrent la démocratie pour traduire la naissance du logos à travers leurs institutions. Nous devons aujourd’hui réinventer ce qu’ils nous ont légué et tenter de lever le voile sur cette révolution qui engendra le passage du muthos au logos et permit l’avènement de l’individu. Sans ce travail d’éclaircie, la promesse que l’Antiquité fit, avec la Grèce, à l’humanité ne sera pas tenue. Pire encore : la mémoire qui soutient la démocratie sera tout à fait perdue. J’aimerais donc me tourner, vers l’unique trilogie antique qui nous soit parvenue : L’Orestie d’Eschyle. Elle fut écrite en 458, précisément alors que, non sans douleur, étaient jetés, à Athènes, les fondements de la démocratie.

    L’histoire, la voici.

    Le roi Agamemnon, parce qu’il en avait reçu l’ordre divin, dut sacrifier sa fille Iphigénie. S’il ne s’accomplissait pas, les Grecs perdraient la guerre de Troie. Clytemnestre, son épouse, ne put accepter cet acte pourtant commandé par Zeus. Avec son amant, Egisthe, elle fomenta une vengeance : elle assassina le héros, à peine rentré de Troie.

    Oreste, le fils d’Agamemnon et de Clytemnestre, une fois devenu adulte, reçut d’Apollon l’ordre de venger son père et de tuer, à son tour, les criminels.

    Clytemnestre, en tant que mère, défend les liens du sang, les liens de la terre ou encore un ordre archaïque fondé sur le clan et les appartenances familiales. Le roi Agamemnon et son fils obéissent, quant à eux, à un nouvel ordre que représente la dernière génération des dieux gouvernée par Zeus et siégeant sur l’Olympe. Bientôt, les liens de sang ne prévaudront plus. Ils cèderont la préséance à d’autres liens à même de donner toute sa place à l’individu en passe de naître. Là où les liens de sang l’emportent, la démocratie ne peut voir le jour. Celle-ci correspond en effet au régime politique qui protège ces liens d’une nouvelle sorte en même temps qu’il s’élabore à partir d’eux.

    Rappelons que la guerre de Troie dont les remparts peuvent symboliser l’égo, la forteresse du Moi, voit apparaître la figure d’Ulysse dont le destin singulier se précisera au cours de l’Odyssée.

    La guerre de Troie précipite donc un conflit entre deux ordres. Elle annonce un changement radical. La tragédie d’Eschyle, écrite trois siècles plus tard, atteste de l’effectivité de cette transformation à partir de la figure d’Oreste sur laquelle elle se concentre. L’ancien ordre, fondé sur les liens du sang, est en train de laisser place à un nouvel ordre, fondé sur d’autres liens que nous cherchons ici à préciser. Avec la tragédie, nous voici devenus, en tant que spectateurs, les témoins directs d’une crise tout à la fois intérieure et extérieure.

    Mais reprenons l’histoire :

    Clytemnestre, aux enfers, se venge à nouveau. Elle envoie à la poursuite du fils qui l’a assassinée des créatures monstrueuses. Chevelure de serpents, yeux injectés de sang, bouche écumante. Ce sont les Erinyes, filles, selon une version du mythe, de Nuit, ou bien du sang tombé sur Gaia, la terre, au moment de l’émasculation d’Ouranos. Les Erinyes sont des divinités chtoniennes, nocturnes. Elles appliquent une loi implacable, châtiant sans répit le crime, le parricide, l’infanticide… Elles n’ont aucune pitié, ne souffrent aucune discussion, pas même avec les dieux de l’Olympe auxquels elles ne se soumettent pas.

    Oreste est-il devenu fou ? Est-il victime d’un délire paranoïaque ? A-t-il des hallucinations persécutrices ? Ou bien est-il le témoin de même que l’agent d’une transformation sociétale majeure ?

    Le théâtre qui, au moment où Eschyle écrit, s’invente anticipe des questions dignes de la psychiatrie contemporaine. L’Orestie donne une existence physique aux Erinyes. L’auteur projette sur la scène les créatures monstrueuses que, dès lors, tout le monde, et non seulement Oreste, peut voir. Cette vision partagée en atteste : il ne s’agit pas d’un délire. Un événement collectif est en train de se produire. Et ce que nous pouvons en retenir, c’est qu’il n’est de réel accomplissement, sans crise, sans tension, sans que des blessures anciennes se trouvent réouvertes. La réalité, nécessairement, se fissure avant de pouvoir se donner un autre visage.

    Poursuivons…

    Oreste persécuté, n’en pouvant plus, se rend à Delphes. Il pénètre dans le sanctuaire d’Apollon. La Pythie, qui s’apprête à rendre ses oracles, le voit assis sur l’ombilic, les mains trempées de sang, épuisé, ravagé. À ses pieds, ronflent les Erinyes. L’image a quelque chose de burlesque. Apollon prend pitié du jeune homme qu’il lave de ses crimes mais déclare ne pouvoir lui venir en aide. Il ne peut légiférer contre les Erinyes. Il n’en a pas le pouvoir. Aussi envoie-t-il Oreste à Athènes.

    Oreste part. Les Erinyes se réveillent. Elles crient, furieuses, terrorisant le public qui partage désormais le sort de l’Atride, et se remettent aussitôt en chasse. Oreste, poursuivi, s’égare. Il tourne en rond, traversant les mers et les terres, avant de parvenir, enfin, à Athènes. Son errance géographique exprime sa désorientation intérieure. Il répète n’avoir fait qu’obéir à Apollon qui le menaçait de souffrances à peine dicibles s’il ne s’exécutait pas. Oreste est en réalité, par ces deux parents, retenu entre deux mondes, coincé entre deux temps de l’histoire humaine. « You’re tearing me apart, » hurle le personnage, incarné par James Dean, à ses parents, dans La Fureur de vivre de Nicholas Ray, un film américain sorti en 1955. Oreste est littéralement déchiré, divisé, autrement dit fou mais sans être réellement schizophrène. Sa boussole, sans repère, tourne sur elle-même. À bout de forces, il entre dans la ville et s’en remet à Athéna. Les Erinyes, quant à elles, n’ont aucun doute : elles persécutent l’auteur d’un matricide. Elles l’emporteront contre Oreste.

    Or voici qu’Athéna, à son tour, se trouve désemparée. Elle ne peut pas, par elle-même, seule, du haut de sa juridiction divine, trancher en faveur d’un parti ou de l’autre. Elle décrète alors – et c’est là son génie – la création d’un tribunal populaire qu’elle institue sur l’Aréopage, la colline dédiée à Arès, le dieu de la guerre.

    Force est alors de constater qu’Oreste, l’homme, sa psyché n’ont servi de théâtre à la tragédie qui s’achève que pour aboutir à ce dénouement inouï qui sauve l’homme et jette les bases juridiques du système démocratique, autrement dit qui crée, dans le cadre de la polis, de la cité, les conditions de possibilité de l’exercice du jugement sans lequel il n’est de sujet libre. Par liberté, ici, il ne convient pas d’entendre, comme nous pourrions le concevoir aujourd’hui, liberté de faire ce que bon nous semble. Il faut entendre liberté de conscience, liberté d’accéder à la connaissance de soi et du monde ainsi qu’à ce qui sous-tend cette conscience.

    Athéna est née – prenons le temps de souligner l’événement – toute en armes, casque, glaive et bouclier au poing, du crâne de Zeus, son père qui avait avalé Métis, la ruse, enceinte, de peur que le fils qu’elle lui donnerait ne le détrônât. Mais Métis n’attend pas alors un garçon. Elle attend une fille. Et c’est cette fille porteuse d’un principe masculin qui émerge du crâne d’un homme (Zeus) porteur quant à lui d’un principe féminin (Métis).

    Avec Athéna émerge donc, dans toute sa dynamique, la question de l’altérité. Féminin/masculin et masculin/féminin se renvoient réciproquement l’un à l’autre, afin de s’éclaircir l’un l’autre par l’entremise du logos, de la parole et de l’amour, de la philia, c’est-à-dire encore de la reconnaissance réciproque et du désir qui pointe à la faveur de cette éclosion fantasmatique extraordinaire. Des principes se regardent et jaugent, par la puissance de ce qui les meut l’un vers l’autre, de leur incomplétude dynamique. Un mouvement de croissance se trouve initié, à même de libérer l’humanité de ses chaînes. Dans le miroir de l’autre, il m’est désormais donné d’apercevoir quelque chose de ce non-moi qui pourtant m’habite et m’anime et, ainsi, de grandir en conscience.

    La déesse aux yeux pers convoque donc, sur la colline de Mars, les Athéniens eux-mêmes, afin qu’ils prennent conscience de leur pouvoir de penser. Elle leur remet la vie d’Oreste et, d’un même geste, leur ouvre un passage vers la sagesse. Elle les initie à la responsabilité. La raison officielle de ce tribunal populaire est que les Erinyes, si elles sont insatisfaites du jugement, accableront la ville. Les Athéniens doivent donc être en mesure d’assumer les conséquences de leur décision et, pour ce faire, délibérer, ensemble, avant d’émettre leur verdict.

    Officieusement, m’apparait un motif plus subtil. Athéna s’était déjà rangée du côté des hommes lorsque le titan Prométhée avait décidé, à l’insu de Zeus, de leur apporter le feu. Elle les soutient à nouveau, en imaginant ce tribunal pour Oreste. Les dieux en effet, bientôt, se détourneront des affaires humaines. Les hommes seuls auront alors charge de leur devenir. Ils devront être à même de s’entendre. Mais qu’entendront-ils ? Leurs peurs ou la justice ? Resteront-ils attachés à leur confort égoïste ou bien parviendront-ils à s’élever à ce que la nécessité leur commande ?

    Apollon n’y va pas, quant à lui, par quatre chemins. Il ne votera pas mais, dans son plaidoyer en faveur d’Oreste, déclare sans ambages que celui-ci n’est pas le fils de sa mère puisque seul le père ensemence. La mère, déclare Apollon, n’est qu’une matrice qui sert à nourrir ce que le père a déposé. C’est « un peu » radical – et semble en contradiction avec les connaissances scientifiques dont disposait déjà à l’époque un Empédocle par exemple – mais ces propos ont le mérite de ne pas cacher le sens de la rupture en cours. L’humanité doit réaliser qu’elle n’est pas d’un père et d’une mère, biologiquement ou génétiquement déterminée, autrement dit elle doit prendre conscience de la superficialité des liens du sang. Elle doit en effet sa qualité d’être, ce qu’elle est à proprement parler, en tant qu’elle relève du symbolique. La semence paternelle dont parle Apollon n’est pas le spermatozoïde, mais ce qui tranche et, tranchant, sépare de la nature, autrement dit ce qui oblige à se relier par un lien de sens, et donc à structurer un entendement, afin d’accueillir et de développer un logos, une parole, une raison porteuse de la Raison du monde.

    Athéna va se montrer moins acérée, peut-être plus humaine. Elle ne dogmatise pas sa réponse mais s’exprime en son nom, personnellement. Étant née sans mère, explique-t-elle, elle ne peut que se ranger du côté des pères et donner sa voix à Oreste.

    Les Athéniens passent au vote. Ils se prononcent à égalité pour les Erinyes et pour l’Atride. Conformément à ce qui avait été conclu avant le vote, Oreste est donc libéré du châtiment des Erinyes, la voix d’Athéna faisant pencher la balance en sa faveur. Toutefois, les Erinyes ne l’entendent pas de cette manière. Elles sont furieuses et s’abattent sur la ville qu’aussitôt elles accablent de mille maux.

    Athéna s’interpose. Elle médite et finit par proposer aux divinités chtoniennes une issue qui ne les déshonore pas. Au lieu de rejeter le passé, l’ordre ancien, la déesse a la sagesse de l’intégrer. Zeus avait refoulé dans le Tartare la génération des Titans. Athéna intègre ce qui lui résiste, en en comprenant le sens. La conscience, qui invite à prendre toujours davantage la mesure de l’Autre, déjà s’élargit.

    Les Erinyes sont appelées à devenir « les Bienveillantes », les protectrices d’Athènes. Il ne s’agit pas, pour la déesse, de les métamorphoser en gentilles fées du logis, serviables et bien proprettes. Les Erinyes resteront fidèles à elles-mêmes. Elles continueront à jouer leur rôle de gardiennes des lois, menaçant des pires châtiments ceux qui ne les respectent pas et préservant, ainsi, la fécondité des terres et des mères dans une cité où les lois de juste répartition entre chacun seront toujours respectées.

    Les Erinyes, qui un instant hésitent, se réjouissent finalement de l’offre que leur fait la déesse. Elles exultent même de joie. De leur point de vue, l’ordre ancien est restauré. Pour les Olympiens, l’ordre nouveau, qui délie des liens du sang, est passé. Mais il appartient désormais aux humains d’en tenir la promesse, c’est-à-dire de structurer un entendement et de s’édifier jusqu’au jour où ils s’éveilleront à la conscience de ce qui croît en eux.

    Je repense au tableau des Erinyes ronflantes au pied de l’ombilic. Sont-ce encore des monstres ? Viendra le jour où l’homme aura vaincu sa peur des châtiments envoyés depuis l’outre-monde. Ces chimères anciennes lui apparaîtront alors pareilles à des cauchemars d’enfant dont le sage, attendri, s’amuse. Ce jour, l’homme aura accédé à la conscience apollinienne. Il verra clair en lui-même. L’univers et les dieux lui révèleront, à mesure de son cheminement, leurs mystères…

    Les Erinyes perdront également leur pouvoir lorsque l’homme, séduit par la technique, s’imaginera semblable aux dieux. Le ciel sera alors, pour lui, devenu la terre. Il pensera pouvoir lever le voile sur tous les mystères. Ne lui en apparaîtront, en réalité, plus aucun. Il sera devenu sourd et aveugle au monde suprasensible.

    Voilà la folie, stérile, qui nous guette et dont, peut-être, cherche à nous préserver la crise plurielle que nous traversons. Semblables aux membres de la famille des Atrides, il se pourrait que nous soyons en train de nous entre-déchirer afin d’éprouver la nécessité de nous entendre et de nous relier les uns aux autres. Ce sont en effet les crises qui, depuis les origines de l’humanité, ont rouvert les blessures, forcé l’imagination et tiré hors de l’oubli la figure de l’homme.

    Nous avons toujours opposé raison et folie. Et si la sagesse était la folie pleine de Raison : la folie d’Oreste, à savoir celle qui, en nous menant à l’extrémité de nous-mêmes, livre passage au miracle ?

    Camille Laura VILLET

    – Agenda –

    En préparation, pendant cette année de jachères

    Le Voyage d’Ulysse
    conté aux enfants et à leurs parents

    interprété par Angélique BOULAY
    Texte, mise en scène et décors de Camille Laura VILLET
    avec le soutien de la Mairie de Grez-sur-Loing

    Une première présentation sera donnée le lundi 15 mai aux élèves du groupe scolaire Les Murgers à Grez-sur-Loing.

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