De l’ostracisme 

L’actualité nous fournit, comme souvent, matière à nous replonger dans nos racines.
La colère de la rue qui s’exprimerait dans le Pays – en tous cas, celle que nous renvoient les médias – prend clairement pour cible le chef de nos institutions, au nom d’une atteinte à la démocratie. Ce qui m’évoque une loi des plus importantes, établie dans les premiers temps de la démocratie athénienne:  celle instituant l’ostracisme.
Aristote l’attribue à Clisthène, même si sa première application se trouvera en 488/7 avant J.-C.. Cette loi prévoyait qu’une peine d’exil temporaire fixée à dix ans frapperait quiconque apparaitrait susceptible d’établir la tyrannie à son profit. Un vote populaire à main levée déciderait de l’opportunité d’une ostrakophoria. Un second vote, secret celui-là, désignerait celui que l’opinion populaire tenait pour dangereux.
Les nombreux ostraka qui sont parvenus jusqu’à nous montrent qu’aucun homme politique athénien n’échappa à la méfiance populaire par la suite. À l’origine, ces tessons étaient des coquilles d’huître, d’où le nom d’ostrakon, puis des tessons de poterie, pratiques pour une inscription éphémère à l’encre servant juste pour l’usage du vote au cours duquel on les décomptait ensuite. Chez les dieux grecs, pareille procédure était l’œuvre d’Iris, qui pouvait bannir de l’Olympe pendant 9 années (années divines) celui qui était coupable de parjure ; mais on était là dans un procès dont le jugement était sans appel, puisque réglé par des puissances divines. Dans le monde humain, il en va bien autrement ; et l’avènement de l’ostrakophoria a occasionné bien des dérives et des excès, permettant de se débarrasser opportunément de nombre de gêneurs dans la prise de pouvoir par un rival, grâce à une savante manipulation de l’opinion.
Édifice si fragile que celui de cette démocratie qui fait ses premiers pas. Il paraît que la fragilité est une force, et cette force, c’est pour la première fois celle d’un discours et d’une pensée radicalement nouvelle sur les institutions, et sur la place des hommes face à la loi avec la mise en place de l’isonomia. Celle-ci reposera sur une révolution-clé, celle de la substitution de l’ancienne loi du sang, avec ses unions et ses conflits, ses vengeances et ses fureurs, par la loi des citoyens, désignés à présent par le nom de leur dème et non plus par celui de leur père. En moins de deux siècles, une première expérience de démocratie, une promesse, a vu ainsi le jour. Le texte de Camille Laura Villet publié ci-dessous soulève un voile de cette histoire qui se rappelle à nous en ces moments renouvelés de crise, crise dont il faut rappeler qu’elle a été l’origine de ce bouleversement des VIème et Vème siècles. S’il fallait – comme certains nous y invitent – procéder à une nouvelle ostrakophoria, il serait sans doute bon de se rappeler ce commentaire d’Anacharsis – rapporté par Plutarque dans sa Vie de Solon – qui venait d’assister à une de ces premières assemblées publiques, prémices de la future démocratie athénienne: « Je m’étonne que chez les Grecs, ce soient les sages qui conseillent, et les fous qui décident. »

Hubert JOSEPH-ANTOINE