Au-delà de Kant : le monde qui vient
2e partie

« Elle est venue par cette ligne blanche pouvant tout aussi bien signifier l’issue de l’aube que le bougeoir du crépuscule.
Elle passa les grèves machinales;
Elle passa les cimes éventrées.
Prenaient fin la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l’alcool du bourreau.
Son verbe ne fut pas un aveugle bélier mais la toile où s’inscrivit mon souffle.
D’un pas à ne se mal guider que derrière l’absence, elle est venue , cygne sur la blessure par cette ligne blanche. »
René Char, « La liberté », in Seuls demeurent, 1945

« Le beau et le sublime s’accordent en ceci, qu’ils plaisent par eux-mêmes. En outre, chacun d’eux présuppose un jugement de réflexion et non un jugement des sens ou un jugement logique déterminant ; par conséquent ma satisfaction ne dépend point d’une sensation, comme lorsqu’il s’agit de ce qui est agréable, ni d’un concept déterminé comme pour la satisfaction qui dépend du bien ; néanmoins la satisfaction est rapportée à des concepts, indéterminés il est vrai, et par conséquent c’est à la simple présentation ou à la faculté dont elle procède que la satisfaction est liée ; et par là la faculté de présentation ou l’imagination est considérée, dans une intuition donnée, comme étant en harmonie avec la faculté des concepts de l’entendement ou de la raison. »[1]

Nous en étions restés, la dernière fois, à la définition de Kant stipulant que le beau était ce qui plaisait universellement et sans concept. Kant, dans ce livre II destiné à l’analytique du sublime, ne semble plus dire tout à fait la même chose. Si la satisfaction procurée par le sublime procède comme pour celle du beau, et ne dépend donc ni de la sensation ni d’un concept déterminé, elle est ici, comme le beau d’ailleurs, rapportée à des concepts. Kant , cependant, ne se contredit pas. Il affine sa pensée. A la satisfaction du beau et du sublime, après avoir écarté les concepts de l’entendement et donc une certaine manière de pensée orientée par des finalités déterminées, Kant introduit désormais ce qu’il nomme un jugement de réflexion et des « concepts indéterminés ».
Que sont-ils ?
Souvenons-nous de la phrase de Kant, au début de la Critique de la Raison Pure :
« Des concepts sans intuition sont vides et des intuitions sans concepts sont aveugles ».
Les concepts guident ou encore orientent l’intuition. Indéterminé, un concept n’oriente vers rien de précis. On pourrait dire qu’il se boucle sur lui-même, et ainsi qu’il éclaire la faculté de présentation elle-même, c’est-à-dire l’imagination, grâce à laquelle le monde visible s’ouvre à nous. Le beau atteste d’une harmonie avec la faculté des concepts de l’entendement ; le sublime, d’une harmonie avec ceux de la raison. Quelle différence faire entre ce qui relève de la raison et ce qui relève de l’entendement ? J’anticipe ici légèrement ce que Kant énoncera un peu plus tard. Le beau en effet se retrouve dans les formes de la nature comme dans celles produites par l’art. Le sublime, en revanche, outrepasse ce cadre.

« … Le sublime authentique ne peut être contenu en aucune forme sensible, écrit Kant ; il ne concerne que les Idées de la raison, qui, bien qu’aucune présentation adéquate n’en soit possible, sont néanmoins rappelées en l’esprit et ravivées de par cette inadéquation même, dont une présentation sensible est possible. Ainsi le vaste océan, soulevé par la tempête, ne peut être dit sublime. Son aspect est hideux ; et il faut que l’esprit soit bien rempli d’idées diverses, pour qu’il puisse être déterminé par une telle intuition à un sentiment qui est lui-même sublime, puisque l’esprit est appelé à se détacher de la sensibilité et à se consacrer aux Idées, qui comprennent une finalité supérieure. »[2]

Le sublime, en ceci, est révélateur de ce dont le jugement de goût est porteur, à savoir d’une élévation, au-delà de la réalité, à ce dont participe pourtant cette dernière. Cette révélation nous est faite par l’entremise du sentiment. Le sublime qui outrepasse toutes les formes sensibles inonde, si je puis dire, la sphère du sentiment, qui se gorge d’idées. Ce qui rend une chose sublime, un océan déchaîné par la tempête, un ciel d’orage, une ruine antique, ce n’est pas la chose en tant que telle mais l’Idée que l’esprit s’en fait : la puissance d’un dieu, une force surnaturelle, le sentiment du temps infini au regard d’une vie humaine etc. L’Idée que se fait l’esprit vivifié par l’âme ainsi émue au contact d’une chose sublime entraîne un pur éveil de l’imagination dont nous devenons comme les témoins. Aussi ce que nous observons, au cœur de ce déferlement de forces, n’est-il rien d’autre que notre humaine faculté à faire monde… à ouvrir le monde. La figure humaine, à l’image de Dieu : le créateur.
Le génie capte l’Idée. Le goût dompte quant à lui le génie de sorte qu’il satisfasse l’entendement.

« La beauté n’exige pas si nécessairement que l’on soit riche et original dans les Idées ; elle exige bien plutôt la conformité de l’imagination en sa liberté à la légalité de l’entendement. Car toute la richesse de l’imagination en sa liberté sans loi ne produit rien que l’absurde ; la faculté de juger est en revanche le pouvoir de l’accorder à l’entendement.
Le goût, comme la faculté de juger en général, est la discipline du génie ; il lui rogne bien les ailes, le civilise et le polit ; en même temps il lui donne une direction, lui montrant en quel sens et jusqu’où il doit s’étendre pour demeurer dans les limites de la finalité ; et tandis que le goût apporte clarté et ordre dans la gerbe des pensées, il donne aux Idées quelque solidité et les rend susceptibles d’un assentiment durable autant qu’universel, de servir d’exemple aux autres et d’une culture toujours en progrès. »[3]

Décodons autant que possible cette citation et replaçons-la dans le contexte de réalisations artistiques essentiellement représentatives de la réalité. La beauté repose sur la conformité de l’imagination aux lois décelées par l’entendement. Cet adage, de prime abord, favorise l’art de l’illusion, un art « comme » ou « à l’image » de la nature. Nous connaissons cette anecdote qui nous vient de l’antiquité. Le peintre Parrhasios propose à un Zeuxis, autre peintre éminemment célèbre de la Grèce du Ve siècle avant J.-C., un concours afin de déterminer lequel d’entre eux est le plus grand. Zeuxis peint des grappes de raisins qu’aussitôt viennent picorer des oiseaux, ce qui confirme le réalisme de l’œuvre. Il croit alors l’emporter lorsque Parrhasios lui propose de découvrir sa peinture. Zeuxis s’apprête à lever le voile qui la recouvre mais s’aperçoit aussitôt que le voile n’est autre que la peinture elle-même. Parrhasios triomphe. Et Zeuxis reconnaît sa défaite. N’est-il pas en effet plus remarquable de tromper un peintre, a priori expert dans l’art de voir, qu’un oiseau ?

Se projeter au-delà de Kant consiste à lever, précisément, ce voile de l’illusion afin d’accéder à ce qui produit nos représentations. Le plus troublant est que Kant lui-même esquisse ce pas en direction d’une phénoménologie mais c’est pour mieux s’en garder et renforcer, par ce geste, le cadre de l’entendement. Nous devons, quant à nous, oser un véritable retournement de la proposition kantienne[4] et ne pouvons que faire l’expérience d’une immense difficulté à remettre en questions nos habitudes d’être et de penser. Il semblerait en effet que nous nous efforcions toujours de modifier les apparences mais trop peu d’échapper à nos habitudes afin de renouer avec le geste, à l’origine vivant, dont elles proviennent.

Lorsque je me penchais, il y a quelques années, sur le procès qu’avait intenté Brancusi aux Etats-Unis en 1927, je m’étonnais, au regard de la marchandisation croissante de l’art tout au long du XXe siècle, de trouver dans le tarif Act, qui légiférait sur l’entrée des biens et des marchandises sur le territoire américain, l’article suivant :

« En l’absence d’une exonération des droits de douane pour les œuvres d’art, nous limitons les occasions de pouvoir en jouir. Aucun profit ne devrait être tiré de l’art[5], de même qu’il n’en est tiré aucun des idées et de la pensée : toutes ont titre à circuler librement parmi les nations de la terre, et tomber dans l’erreur de vouloir « contraindre » l’art reviendrait à anéantir le principe même de leur droit à l’admission en franchise. »[6]

Je découvrais aussi, plus ou moins au même moment, l’excellent essai de Stanley Cavell, Philosophie des salles obscures, lequel proposait une lecture « morale » de quelques chefs-d’œuvre du cinéma américain. L’art avait vocation à circuler librement entre les nations parce qu’il élevait les hommes jusqu’à ce plan où il leur était donné de s’entendre et de converser. Le cinéma lui-même en faisait la démonstration[7].
Comment une telle reconnaissance des vertus de l’art, présente jusque dans les textes juridiques américains, a-t-elle pu être à ce point dénaturée et l’édifice kantien, qui pourrait résumer à lui seul près de deux millénaires de construction du sujet occidental, désavoué ?

le 7 février 1927, le sculpteur roumain, Constantin Brancusi écrivait à Duchamp, peu avant d’accuser les douanes américaines de ne pas reconnaître son travail : « L’erreur de la douane c’est qu’on croit que tous les oiseaux que j’ai exposées à New York sont tous les mêmes et que ce n’est que leur titre qui diffère. Pour détruire cette croyance, il faudrait exposer publiquement le tout ensemble – ce n’est qu’alors qu’on verra l’erreur. On verra que c’est le développement d’un travail honnête pour atteindre un autre but que les séries manufacturées pour faire de l’argent… »[8] Le mot de Brancusi à Duchamp est éclairant. Parce qu’un douanier soupçonne ses sculptures d’être des produits manufacturés, le sculpteur croit devoir se défendre contre l’idée de production en série. Mais ce n’est pas là réellement ce qui est visé par les douanes américaines qui veulent juste s’assurer que les dites sculptures en sont bien, autrement dit qu’elles sont bien de la main de Brancusi et non réalisées par une machine. La signature – et si j’ose dire « la marque » – leur suffit. Le geste créateur, son processus, est tombé dans l’oubli. Et Brancusi pointe, en vain, un autre but, sublime, qui authentifie son geste en même temps que sa position d’artiste. Les douanes en effet n’en ont cure ; ni les juges, d’ailleurs, qui « étiquetteront » le travail du sculpteur du vocable d’abstraction ainsi que d’école moderne sans plus de considération pour ces Idées auxquelles Kant, pourtant, avait tenté de nous rendre vigilants, et que les Modernes tentaient par l’abstraction de synthétiser.

Le juriste Bernard Edelman, dans un essai intitulé L’Adieu aux arts (qui analyse précisément les actes du Procès Brancusi), déplorait l’abandon du cadre kantien. Cet abandon était dans son esprit à l’origine du désordre et des crises dont nous étions les témoins, ne serait-ce qu’en termes d’esthétique ainsi qu’au niveau du marché de l’art. Puisque nous étions privés de la protection kantienne, qui reconduisait le génie créatif par l’entremise du jugement de goût dans le cadre du beau, tout devenait possible, pour le meilleur sans doute, pour le pire surtout. On crut, à tort, que la modernité se débarrassait du souci de la beauté. Le tour est, à mon sens, plus subtil. Une certaine modernité, certes, faisait fi du jugement de goût, en prétendant rattacher l’art à un système de reconnaissance social notamment : c’est de l’art parce que nous convenons que c’est de l’art. Mais une autre explorait des manières nouvelles d’accéder et de partager l’universel. Elle s’était aperçue de la vanité d’un objet industriel qui, produit en série, échapperait tant à la subjectivité qu’à l’Histoire. Il fallait donc parvenir à produire un objet qui n’en soit pas un, autrement dit un objet qui n’existe que par l’entremise d’un regard et d’une pensée.

Le jugement de goût met constamment le singulier à l’épreuve de l’universel, ce qui oblige le sujet critique et ce dont nous épargne toute convention sociale. C’est donc de ce jugement, au cœur de l’aventure moderne, et dont l’exercice contribue à l’étayage des sujets que nous sommes, que je voudrais à présent parler.

« Une faculté de juger, qui doit être dialectique, doit tout d’abord être raisonnante ; c’est-à-dire que ses jugements doivent prétendre à l’universalité et cela même a priori ; c’est en effet dans l’opposition de tels jugements que consiste la dialectique. C’est pourquoi l’incompatibilité de jugements esthétiques des sens (sur l’agréable et le désagréable) n’est pas dialectique. Tout de même le conflit des jugements de goût, dans la mesure où chacun s’en rapporte à son propre goût, ne constitue aucune dialectique ; en effet, personne ne songe à faire de son jugement une règle universelle. Il ne reste donc pas d’autre concept d’une dialectique, qui pourrait intéresser le goût, que celui d’une dialectique de la critique du goût (non du goût lui-même) par rapport à ses principes ; en effet, lorsqu’il s’agit du fondement de la possibilité des jugements de goût en général des concepts opposées l’un à l’autre se présentent d’une manière naturelle et inévitable. »[9]

Le beau satisfait universellement et sans concept. Sans concept déterminé. Le beau n’obéit ni à une fin utilitaire – c’est beau parce que cela sert à ceci ou cela – , ni à quelque intérêt – c’est beau parce que ce m’est agréable ou profitable matériellement. Toutefois, nous l’avons vu, le beau de même que le sublime se rapportent à des concepts indéterminés ou encore suprasensibles, lesquels renvoient au plan des Idées de la raison.
Sans ces Idées, qui président à la beauté, un jugement de goût à même de s’élever à l’universel serait impossible. Entendons qu’il n’y aurait pas de dialectique, c’est-à-dire pas de circulation des idées. Dialectique, étymologiquement dia-logos, le logos, le verbe ou la raison à travers, ou encore qui traverse. Il y aurait, par exemple, celui qui aime le rouge et qui trouve la Desserte rouge de Matisse magnifique et celui que cette couleur agresse et pour qui ce même tableau devient insupportable. L’un et l’autre de ces jugements passeraient à côté du beau, n’en restant qu’à la question de l’agréable et du désagréable. La thèse selon laquelle chacun dispose de son propre goût s’oppose à celle selon laquelle il est possible de discuter d’un bon et d’un mauvais goût. Le dépassement de ce que Kant appelle ici une antinomie du jugement de goût n’est envisageable qu’à la mesure d’un plan qui transcende cette antinomie.
C’est à ce plan que faisait référence l’extrait du tarif Act cité précédemment. C’est de ce plan même dont se détournent, dans les faits, par incompétence autant que par ignorance, les autorités douanières à l’origine du Procès Brancusi ainsi que les instances juridiques, économiques, scientifiques et politiques tout au long du siècle précédent et encore aujourd’hui.

L’accès à cette transcendance que reflète le beau permet à Kant de dire qu’il est « le symbole du bien moral ». « C’est à ce point de vue (relation qui est naturelle à chacun et que chacun attend des autres comme un devoir) qu’il plaît et prétend à l’assentiment de tous les autres et en ceci l’esprit est conscient d’être en quelque sorte ennobli et d’être élevé au-dessus de la simple aptitude à éprouver un plaisir par les impressions des sens et il estime la valeur des autres par une maxime semblable de sa faculté de juger. »[10]

Autrement dit, ce que nous aimons dans le beau, ce n’est pas le beau en soi qui, si je pousse la logique jusqu’au bout, n’existe pas mais le bien. Les Modernes, ceux que j’ai appelés « les aventuriers de l’abstraction » avaient compris, que le sujet, à l’orée du XXème siècle, s’apprêtait à réinventer sa relation aux objets qui l’entouraient. L’objet d’art devait se charger de montrer ce qui n’était, ni disponible ni utilisable ou, pour reprendre l’expression heideggérienne, « ni sous la main » (vorhandenheit), « ni à portée de la main » (zuhandenheit)… autrement dit l’insaisissable.

Je me promenais, il y a quelques jours, avec des enfants dans le Centre Pompidou : « Oh ! Un phoque ! » s’exclama l’un d’eux, devant le Phoque de Brancusi. Et pourtant ce dernier n’est pas un phoque. Ce n’est pas non plus l’idée du phoque mais l’évocation de l’Idée dont le phoque, dans la nature, présentifie l’image. Et c’est cette Idée (esthétique) que l’enfant a vue immédiatement : dans la forme, le mouvement du phoque sur la banquise, une force en acte comme saisie dans le marbre gris pour éveiller les consciences à leur provenance.

Au-delà de Kant, au-delà du beau : la Vie.
Le sens de la vie, à savoir ce trajet, cette tension, qui va de l’Idée à son entrée en visibilité.

Evoquer ce sens de la vie, par-delà les images, telle était la visée de l’abstraction. Il ne s’agissait en aucune façon de nous couper de tout suprasensible par un excès d’intellectualité, mais, étant détachés de la nature, de la traverser afin d’en capter et d’en libérer, pour l’esprit, les lignes de forces. Kant se garda de cette traversée mais il traça méticuleusement le seuil qu’il y aurait, un jour, à franchir.
Les objets d’utilité courante devraient disparaître lorsqu’ils ne servent pas ; à défaut, ils devraient se fondre dans le décor. Seules les œuvres d’art devraient rester visibles car ce qu’elles montrent vaut comme portes donnant sur cet au-delà où les hommes se révélant à eux-mêmes s’ouvrent également aux autres.
Au lieu de cela, les objets utilitaires, tout au long du dernier siècle, se mirent à pulluler et les œuvres d’art furent récupérées par un marché tout exprès imaginé pour elles.
L’accent fut mis sur une seule chose : produire plus en vue de gagner plus.
Plus d’argent
Plus de pouvoir
Plus de notoriété

Mais qui se souciait encore de servir l’Homme ?

L’abstraction pouvait même désormais être produite en série dès lors qu’il était prouvé qu’un homme se tenait derrière, qui pilotait le processus en donnant l’illusion d’en établir le concept. Elle avait pour avantage de correspondre à la progressive « a-culture » du monde ainsi qu’à la modélisation technique de l’homme.

J’ai parlé de trahison de l’abstraction par les juges de Brancusi, lesquels ont pourtant reconnu comme étant un objet d’art L’Oiseau dans l’espace. Ils sont passés à côté de l’abstraction. Et avec eux tout un siècle qui s’est appliqué à désubstantialiser notre rapport au monde, le privant peu à peu de son âme. Contrairement à Bernard Edelman, je ne crois pas que le malheur vienne du geste d’abstraction pratiqué par les Modernes. L’appareil critique déployé par Kant équivaut à une structure laquelle ne révèle pleinement sa valeur, à mes yeux, qu’à celui qui la transgresse et la retourne.

Le jeu dialectique (et critique) sous-tend la traversée des images en vue du concept. Qui s’ose à ce risque se rencontre soi-même en faisant l’expérience d’une déprise inouïe.
Nul ne peut dire qu’il sait ce qu’est la pensée. Celle-ci ne se livre jamais sans un objet qui la masque. Il en va de même pour la conscience qui est elle aussi toujours conscience d’un objet.
De l’autre côté du miroir, les âmes sont initiées à la conscience de conscience, à la pensée de pensée.

Le monde qui vient n’est pas celui de demain.

Qu’est-ce d’ailleurs que demain ?

Le monde qui vient ne cesse jamais de venir. Nous apprenons à lui prêter une oreille toujours plus attentive. Il s’agit en effet par notre attention de nous déporter en cet impossible lieu où tout est possible.

J’ai longtemps cru qu’il convenait de changer le monde.
Non.

Au-delà de Kant, je change le monde en devenant qui je suis, ce que je dois.

Telle est ma responsabilité.

Telle est ma souveraine liberté.

J’accède au séjour du dieu et m’ouvre à sa puissance.

Iacos ! Iacos ! entonnaient les initiés. Iacos ! Iacos ! Ceux qui foulaient le raisin afin d’en obtenir le vin. Iacos ! Iacos !

Camille Laura VILLET

[1] Emmanuel Kant, Critique de la faculté de juger, Librairie Philosophique J. Vrin, Paris, 1993, p.117. Je souligne.[2] Idem, p.120. Je souligne.[3] Idem, p.220-221[4] Ce retournement ne signifie pas sortie ou fuite mais bien retournement comme le cuisinier procède au cours de la cuisson d’une crêpe ou bien au démoulage d’une tarte tatin. Ce n’est pas fini avant d’avoir été retourné ![5] Soulignons le caractère hautement kantien de cette déclaration. Kant, en effet, considère l’art comme libéral, ce qui implique que l’artiste ne travaille pas d’abord en vue de l’argent. Par opposition, les métiers sont dit mercenaires, car ils supposent l’appât du gain. Cf. Critique de la faculté de juger, Livre II, §43, p.200.[6] Article 1704 du Tarif Act de 1922.[7] Parmi les films étudiés, on trouve notamment New York-Miami de Franck Capra ainsi qu’Une femme cherche son destin d’Irving Rapper.[8] Je souligne.[9] Kant, op.cit., Deuxième section, §55, p.243[10] Kant, op.cit., p.265-266