J’aimerais retrouver, par l’écriture de ces quelques lignes, la vibration éprouvée face à l’iris blanc, accroché, en ce moment au Centre Pompidou, à côté des pavots rouges-orangées. Se contenter de dire que cette exposition est un bouquet, même chatoyant, même plein de vie, serait trop facile. Trop facile encore de prétendre voir en ces fleurs grossies pour ne pas passer inaperçues des allusions sexuelles.
Les fleurs de Georgia O’Keeffe n’ont rien d’une métaphore du sexe féminin. Georgia O’Keeffe expose le féminin parce qu’en lui la forme prend corps. Le tableau est féminin… C’est une matrice, une « imagimatrice »… et cette vibration que je ressens correspond au désir qui active la projection. Alors la toile s’illumine et le regardeur pénètre le tableau.
J’entre dans l’image. J’entre dans ce que voit le peintre. Je ne vois plus les pétales ni le pistil, je ne vois plus que les couleurs, les ombres et la lumière. Je vois les formes qui dansent. Je rêve à un parfum. Et puis, plus même : j’entre dans ce que je vois. La vibration s’intensifie.
Et je pourrais demeurer là, à écouter pendant des heures le silence vibrer du désir du monde.
L’exposition nous accueille avec la biographie de l’artiste et des phrases très simples. Cette femme dit :

« Je me disais à moi-même je peindrai ce que je vois – ce que la fleur signifie pour moi, mais je la peindrai grande et cela forcera à prendre le temps pour regarder – j’obligerai chaque habitant affairé de New York à prendre le temps pour voir ce que je vois dans les fleurs. »

Elle me touche. Je perçois, entre ses mots, tout à la fois de l’audace et de l’ironie ; quelqu’un qui prend sa tache très au sérieux mais qui n’est pas dupe non plus. Il va falloir élargir l’infime, le rendre presque infini pour être vue. Le travail de l’artiste passe par cette inversion des valeurs ; c’est ainsi que s’opère la révélation.
La couleur d’O’Keeffe (pour toutes les couleurs qu’elle utilise et marie ensemble) est incandescente.
C’est de la lumière pure.
Comme si le soleil, par derrière, en attisait la radiance. Les fleurs flamboient. Et pas seulement les fleurs, le désert aussi et ces ossements énigmatiques, comme chauffés à blanc.
Je suis cette trajectoire qui commence au plus près du végétal, à la campagne, passe par New York et ses gratte-ciels et s’achève avec le minéral, en plein désert du Nouveau Mexique. Cette femme n’a peint ni des fleurs, ni des os, ni la porte de sa maison mexicaine, ni la croix du Christ. Cette femme a peint son émerveillement. Elle s’est peinte face au miracle du monde. Que le monde soit, telle est l’ultime signifiance. Que le monde soit et que nous puissions en témoigner, telle est notre suprême liberté.

Camille Laura VILLET

Georgia O’Keeffe est née en 1887, dans le Wisconsin aux Etats-Unis.
Elle est morte, aveugle, les yeux comme brûlés d’avoir trop vu, à presque 100 ans en 1986 dans la Ville de Santa Fe au Nouveau Mexique.
Dans son visage de femme jeune, j’aperçois une force virile, dans celui de la femme mûre, ridée comme une vieille pomme, une sagesse presque sans âge. Georgia O’Keeffe n’était pas à proprement parler féminine. Elle s’abandonna bien plutôt au féminin et consacra sa vie à la création. Inspirante figure. Solide et douce. Grave et souriante.

Exposition au Centre Pompidou – Paris jusqu’au 6 décembre 2022

Georgia O’Keeffe, Oriental Poppies, 1927.
Weisman Art Museum at the University of Minnesota, Minneapolis © Georgia O’Keeffe Museum / Adagp, Paris, 2021