Le corps comme source d’étonnement

« La peinture de la nature ne copie pas l’objet ; c’est réaliser son ressenti. »
Paul Cézanne

Le théâtre relève de l’expérience du corps.
Je pourrais tout aussi bien dire l’art en général.
Voir un tableau relève, aussi, d’une expérience du corps. Le peindre, cela va sans dire.

Il s’agit de faire l’expérience de l’Autre, de ses partenaires, des spectateurs, de la nature, du théâtre, du musée… Tout entre dans la composition. Je dis bien TOUT.
Nul ne voit jamais deux fois le même tableau. Ce que nous voyons deux fois, c’est l’idée du tableau, la connaissance que nous en avons, ce que nous espérons y trouver.
Mais l’expérience est à chaque fois unique.
Et le corps est la porte qui délivre accès à l’unique. Il inscrit dans l’espace-temps le point où se réveille la mémoire qui nous relie spirituellement au monde, le point d’oubli, également, de ce que l’on considère, d’ordinaire, comme soi-même, son identité.
Il est ce qui nous fait passer d’ici à là-bas.

J’ai pris la main d’Adrien. C’était bientôt notre tour de jouer. Et déjà, je n’étais plus ici, dans l’habituel, mais là. Nos corps en jeu transfiguraient le jardin.

L’art nous fait passer dans l’outre-monde, chez les ultra-vivants. Je n’ai pas dit les morts. Je pense à ceux qui ont conscience de la conscience, que le visible, en apparence fixe, est, en réalité, toujours changeant.
La scène, qu’elle soit de planches ou bien un jardin au bord d’une rivière, est comparable à ce que j’appelle le plan du tableau, lequel n’est pas la surface de la toile peinte ni même la toile à peindre mais le plan auquel accède celui qui se destine à peindre.

Nous voulons plonger dans le ciel et nous redécouvrir.
Les Bleus de Mirò, au hasard.
Nous voulons faire de l’ordinaire quelque chose d’extraordinaire. Non pas le travestir mais le concevoir depuis ce lieu où se produit quelque chose de toujours singulier.
Connaissance de soi, éveil à sa nécessité propre. Qui suis-je ?
Nous cherchons à nous laisser surprendre au cœur même de ce qui est parfaitement su. Au théâtre, les Français répètent. Les Italiens essayent. Le but visé par tant d’effort : l’oubli… au moment des représentations, la représentation mentale doit lâcher pour que la vie surgisse.
Cézanne ne peignait pas la Sainte Victoire. Il peignait sa relation à la Sainte Victoire. Il peignait son corps face à la montagne. Ses toiles sont l’expression de ce qu’il sent. Aucune psychologie ici. Elles sont l’empreinte encore vive de ce qui déjà n’est plus.
La Sainte Victoire dit l’Autre, la forme humaine s’arrivant dans l’émerveillement du monde.
Le corps dont je parle ne se réduit pas à cette mécanique physique que la médecine s’échine à réparer quand elle se déglingue. Il est ce qui vit, ce qui nous relie les uns et aux autres, et qui nous anime et dont le corps visible est le reflet.
Il est l’instance que traverse l’Amour qui seul crée authentiquement et nous enseigne ce qui doit être.
Par le corps, donc, l’étonnement et la connaissance.
Par lui, encore, la forme de l’Homme en perpétuel devenir.

Camille Laura VILLET