REFLEXIONS EN FAVEUR DE LA CONSPIRATION DES ÂMES
« Ce sont les paroles les plus silencieuses qui apportent la tempête. Ce sont les pensées comme portées par des pattes de colombes qui dirigent le monde. »
Friedrich Nietzsche[1]
CONSPIRATION DES ÂMES…
L’expression n’est pas de moi. On me l’a murmurée au détour d’une conversation. C’était il y a plus d’une dizaine d’années. Elle ne m’a plus quittée.
CONSPIRER
Du latin, con spirare, respirer avec/ensemble, être animé du même esprit/du même souffle. Une conspiration des âmes témoigne de leur accord profond.
Parce qu’ils se rencontrent en secret, parce qu’ils ourdissent souvent en vue du renversement d’un pouvoir institué qu’ils jugent inique, les conspirateurs sont fréquemment assimilés aux complotistes ainsi qu’aux conjurés ; et sont craints, au même titre que ces derniers, par les institutions.
Mais si les conjurés sont ceux qui jurent ensemble et les complotistes, ceux qui étymologiquement font ensemble une pelote (du latin cum, avec et du français pelote, peloton), les conspirateurs, je le répète, respirent ensemble. Et leur respiration s’apparente à un tissage. Contrairement aux complotistes qui jouent serré, les conspirateurs, eux, s’étendent. Ils ne connaissent pas de frontières. Même à distance, ils s’entendent et se reconnaissent. Ils forment ensemble cette murmuration dont on nomme aussi, par anglicisme, les rassemblements d’étourneaux en plein ciel[2].
Et c’est là peut-être ce qui les rend, aux yeux de certains, plus inquiétants encore. Les conspirateurs se révèlent insaisissables. Seuls les comprennent ceux qui, à l’écoute de leur propre âme, viennent se mêler à leur souffle et en suivre le mouvement.
Ce souffle partagé dont témoigne le baiser (je pense à celui échangé entre Anne et Joaquim à la Porte dorée de Jérusalem par Giotto, Capella degli Scrovegni à Padoue) dévoile une alliance indissociable d’un cheminement intérieur. Celui qui, consciemment, conspire ne cherche plus de guide à l’extérieur de soi. Il procède en direction de sa propre source de lumière, à partir de laquelle se relier aux autres et entrer dans la symphonie du monde. Il se met au service de son âme. Il n’est d’autre maître pour lui que son maître intérieur.
Les âmes conspiratrices se révèlent donc toujours potentiellement dissidentes mais, partant, aussi, toujours, porteuses de vie[3].
Force est alors de constater que tout ce qui existe a, d’abord, été conspiré. Il n’est rien, aucun mouvement artistique, aucun mouvement politique, aucun parti quel qu’il soit, aucun système économique qui ne soit né sans que n’aient conspiré entre elles des âmes. A tous les niveaux dont sont composées les sociétés humaines, des êtres conspirent. De leurs conversations secrètes émergent les formes du monde.
Et si j’écris « secrètes », c’est que ces conversations sont inconscientes ; et que leur pouvoir semble avoir, jusqu’à présent, reposé sur cette inconscience même.
Marie et Pierre Curie conspirant autour du radium anticipaient-ils le pouvoir de la radioactivité, son impact géopolitique, médicale, économique, sociétal… ?
Les conspirations, de prime abord, échappent. Elles se déroulent sur un plan qui transcende l’être humain et au service duquel, qu’il le veuille ou non, il se met.
Ce sont ces conversations, qu’entretiennent les âmes entre elles, qui attirent particulièrement l’attention du psychanalyste. Que s’est-il tramé à telle époque d’une vie qui, aujourd’hui, engendre telle forme ? En filigrane des mots échangés, quelle parole s’est dite qui a révélé tel détail jusqu’alors occulté, produit tel comportement, bousculé tel équilibre ? Qu’est-ce qui est à défaire, à refaire ? Cette écoute fine constitue le prélude au travail de l’imagination.
Prêter attention au secret, au mystère, au silence, aux allusions ainsi qu’aux signes, ce n’est en aucune façon œuvrer en faveur de la théorie du complot, ni comploter soi-même. C’est, au contraire, tenter de s’éveiller – au sens de s’élever au plan où elle a cours – à cette conspiration des âmes. Le combat que nous avons désormais à mener est un combat célestiel, entendez un combat intérieur.
Nous ne changerons pas le monde. Il n’y a aucune solution aux problèmes énergétiques et écologiques qui ruinent la Terre. Aucune solution aux questions migratoires. Aucune solution aux crises économiques endémiques. Toute prétendue solution apporte son propre ravage. Ni les batteries électriques ni le nucléaire ne répondent, par exemple, aux problèmes du réchauffement climatique lié aux expulsions de Co2. Ces procédés technologiques, s’ils satisfont la logique de notre entendement ainsi que notre égo, ne font qu’apporter de nouveaux problèmes lesquels génèreront peut-être des situations plus catastrophiques encore.
Il est temps de nous changer nous-mêmes et devenir celle, celui que nous ne sommes pas encore mais que nous avons à être. Il est temps d’éradiquer tout ce qui en nous résiste à cette écoute fine, par souci de confort, par commodité ou indulgence, par habitude également, et de nous demander :
- Quelles sont les valeurs que je porte ?
- Et quelles alliances dois-je passer pour les promouvoir ?
Depuis l’apparition du sars-cov 2 à l’origine de la covid 19, « cluster » est devenu le terme pour parler d’un foyer de contamination. Le mot, anglais à l’origine, s’il correspond à un agglomérat ou encore un regroupement, possède également cette signification que je recopie directement du site en ligne du dictionnaire Larousse : « Attaque simultanée, au hasard ou non, de plusieurs notes sur un clavier, un instrument à cordes, etc. » Le Robert, quant à lui, précise : « Résonnance de plusieurs notes jouées simultanément. »
Un cluster affirme donc une force de frappe qui produit un effet de résonnance. Autrement dit, il atteste d’une puissance qui n’est pas sans écho.
Il est temps d’inventer une nouvelle histoire, de nouvelles résonnances. Ou plutôt de conspirer une nouvelle histoire et de nouvelles résonnances, en ouvrant nos âmes à la possibilité qui leur est offerte de mutuellement s’inspirer et d’intensifier leurs actions. Il est temps de créer nos propres clusters. Dans les années 60, en ex-URSS, on conspirait dans les cuisines. La Perestroïka trouve ainsi son impulsion à côté de la gazinière sur laquelle la soupe était en train de bouillir[4]. Nous voici, une fois encore, conviés à la table de l’Histoire. Voulons-nous y participer ? Voulons-nous en être l’un des innombrables auteurs ?
Sans conspirateurs, plus de remises en question, plus de discussions et donc plus de démocratie. La démocratie – étymologiquement, le pouvoir du peuple – suppose des citoyens qui conspirent, c’est-à-dire, concrètement, qui se retrouvent pour parler et dont les âmes, secrètement se tissent les unes aux autres. C’est pourquoi elle s’avère un régime politique si imparfait : elle repose intégralement sur ces conversations qui contribuent à notre perfectionnement – et non pas sur notre perfection !
La prolifération des nouvelles technologies, la manière dont l’épidémie actuelle est instrumentalisée à leur profit, les tendances gouvernementales un peu partout dans le monde… Maintes dispositions contribuent aujourd’hui à éloigner les individus les uns des autres ainsi qu’à nier le caractère tangible de ces conversations à bas-bruit. Pourquoi ? Il n’y a là aucun complot mais l’expression d’une ligne de force matérialiste – ou encore positiviste – dont nous avons déjà parlé dans certains de nos précédents éditos.
Que voulons-nous ?
La matière ou l’esprit ? La division ou l’union ? La dissonance ou la résonnance ? Le désaccord ou l’accord ? Le chaos ou le cosmos ?
L’heure a sonné : il faut choisir notre camp.
SENSE 8
une série conspiratrice
créée par Lilly et Lana Wachowski et Joseph Michael Straczynski
Nous ne dirons rien de cette série dont la sortie date un peu et que beaucoup d’entre vous ont sans doute déjà vue.
Toutefois, si ce n’est déjà fait, nous vous invitons à la regarder urgemment pour une meilleure compréhension, notamment, des termes de cluster, conspiration et âme !